Les nouveaux récits pour relever les défis sociaux et écologiques
Pour relever les défis sociaux et écologiques, nous devons réussir à transformer en profondeur nos sociétés et rendre ces métamorphoses désirables pour tous.
Cela implique forcément de renouveler nos représentations et nos imaginaires collectifs à travers de nouveaux récits.
Ces derniers peuvent en effet nous permettre de réajuster notre symbolique en diffusant des valeurs et des normes sociales plus respectueuses du vivant et de l’humain.
Car en effet, qu’en serait-il si nous décidions de promouvoir activement les personnes qui incarnent déjà des modes de vies plus responsables, les lieux qui respectent les milieux vivants et les objets qui respectent la dignité des fabricants ?
TROIS QUESTIONS À
Valérie Zoydo
Valérie Zoydo est auteure-réalisatrice de films engagés, storytelleuse du changement individuel et collectif, co-fondatrice du collectif de scénaristes Atmosphères (nouveaux récits).
Comment définissez-vous un « nouveau récit » ?
On parle beaucoup de « nouveaux récits », même s’il s’agit d’une expression galvaudée puisqu’un récit est toujours nouveau : on fait récit pour faire société. Pour autant, les récits actuels sont-ils à la hauteur de notre Histoire contemporaine ? Nous permettent-ils de comprendre la pensée complexe, systémique, et d’aller vers une société compatible avec le vivant ? Malheureusement, à l’aune du changement de civilisation que nous vivons, nous pouvons mieux faire en termes de nouveaux mythes et de nouveaux imaginaires. Notre contrat social, notamment avec le vivant, est -pour le moment- rompu. Les récits dominants se trouvent dans une forme de déni des enjeux actuels, tant en termes de décryptage que dans les valeurs véhiculées. Un « nouveau récit » serait donc un récit qui décrypterait les enjeux majeurs de l’époque tout en épousant les codes du storytelling. Il porterait un regard sur le monde actuel et à venir, à mi-chemin entre fiction et réel. Un bon récit part de faits lucides qui le rendent crédibles et qui permettent d’entrer en empathie avec les personnages pour ensuite ouvrir le champ de possibles, inviter au rêve, à l’extraordinaire, et offrir une expérience immersive, esthétique et émotionnelle. Or, les récits écologiques ne sont pas à la hauteur. Tantôt dystopiques, tantôt utopiques (mais jamais à la convergence des deux), ils ne sont pas au rendez-vous d’imaginaires qui mettent en mouvement la masse. Pourtant, notre époque a tous les éléments d’un bon récit : elle est « extra-ordinaire » -la réalité dépasse la fiction-, et elle provoque des émotions fortes : peur, joie, incertitude, angoisse, espoir d’un happy ending. Il y a du suspense : on ne sait pas si on va s’en sortir. D’un côté, il y a la Silicon Valley qui gère sa peur de la mort en créant l’immortalité avec le transhumanisme, la solution par le « tout technologique », et de l’autre, les collapsologues qui évoquent la fin potentielle de l’humanité. Sans oublier le journalisme de solutions qui malheureusement ne parle qu’aux convaincus et est injustement qualifié de contenu « bisounours ». Et puis… « L’amour heureux n’a pas d’histoires ». Un juste équilibre entre ombre et lumière est nécessaire dans un récit. Nous avons ainsi le choix, en tant que conteurs, de proposer un discours qui soit compatible avec le vivant, c’est-à-dire qui inclus à la fois la mort et la vie, comme les deux faces d’une même pièce. Entre dystopie et utopie, ce nouveau récit est appelé à intégrer tous ces éléments dans la psychologie des personnages, dans les décors et les enjeux narratifs. Ainsi, nous pourrions visualiser le monde post-carbone, et en s’inspirant des personnages, redevenir des êtres naturels : les citoyens d’une société compatible avec le vivant.
Quel est le rôle du monde culturel dans la promotion de nouveaux récits et imaginaires compatibles avec une société plus soutenable ?
Le monde culturel, tout comme le monde des médias et de l’information en général, a perdu son rôle de mise en perspective du monde contemporain. Autrefois ces acteurs étaient comme des « éclaireurs sociétaux ». Ils permettaient de voir et déchiffrer le monde qui venait. Aujourd’hui les critères industriels ont appauvri l’offre et le regard. Il est donc important que le monde culturel retrouve ses lettres de noblesse en se formant à ces enjeux, en prenant le temps de la création, de la compréhension, de la contemplation… La culture, au-delà de son rôle d’émerveillement et d’enchantement a aussi un rôle politique. C’est un contre-pouvoir. Créer c’est résister. Face au désenchantement voir au cynisme que suscite la fin de civilisation que nous vivons, la culture peut créer et diffuser des récits qui nous « empuissantent » et nous permettent à nous, citoyens, de participer également à l’écriture de notre histoire commune.
Quels sont les enjeux pour les années à venir ?
L’époque est plus que jamais appelée à raconter ce qu’est le vivant pour mieux le respecter et le protéger. Et pour pouvoir le raconter, encore faut-il le connaître et s’y reconnecter. D’où l’importance de former le monde culturel à ces enjeux. C’est pour cela que nous avons créé le Parcours Nouveaux Récits avec le Festival Atmosphères, qui propose une formation interdisciplinaire pour les scénaristes et les acteurs culturels, afin de leur donner des clés de compréhension de ce que pourrait être une société compatible avec le vivant. Il est important que l’ensemble de chaîne de fabrication des récits (scénaristes, réalisateurs, mais aussi diffuseurs et producteurs) se saisissent de ces enjeux et se questionnent sur leur responsabilité en tant que créateur ou porteur d’histoires.