Benoît Thévard - La mise en récits, un outil pour la transition écologique dans les quartiers prioritaires

Quatre questions à Benoît Thévard, membre de la Coopérative d'Activités et d'Emploi (CAE) Artéfacts et Chef de projet à La Fabrique des Transitions.

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Publié le 25/04/2024

Benoît Thévard travaille depuis plusieurs années sur le lien entre culture et transition écologique, notamment par la mise en récits, et a accompagné le programme "Ecotransition stories" sur lequel nous revenons. 

Pouvez-vous nous parler du projet de mise en récits au sein de quartiers prioritaires mené dans le cadre du programme européen « Ecotransition stories » ?

« Ecotransition Stories » c’est un projet de coopération entre quatre structures européennes, prévu dans le cadre d’un partenariat Erasmus + mené pendant 26 mois dès novembre 2021. Les quarte organismes partenaires – la coopérative Artefacts implantée à Tours, la fondation E-35 de Reggio d’Émilie, l’agence EuroVértice de Murcie et l’Institut Polytechnique de Porto (IPP) – se sont donnés pour objectif d’élaborer et de tester une nouvelle méthodologie de travail en faveur d’un changement d’échelle de la transition écologique, basée sur l’approche de la coopération et de la mise en récits telle que proposée par La Fabrique des Transitions. Ce projet a ainsi été mené sur 3 territoires considérés comme « quartiers prioritaires » notamment en France dans le quartier Sanitas à Tours, en Italie dans le quartier Carozzone du Reggio d’Émilie et en Espagne, à Lorqui, une communauté autonome de Murcie. De manière opérationnelle, on a travaillé main dans la main avec les acteurs de terrains (collectivités, associations, acteurs sociaux, habitants…) afin de leur permettre de monter en compétences sur les enjeux de la transition écologique et d’utiliser l’outil de la mise en récits pour engager des évolutions vertueuses au sein des quartiers. 

Quelle était la principale intention de cette initiative ?

A l’origine de ce projet, qui avait pour finalité d’aboutir sur la création d’un guide méthodologique, nous nous sommes demandé : en quoi la transition écologique peut-elle devenir une opportunité pour améliorer les conditions de vie des habitants des quartiers prioritaires, souvent les plus impactés par les bouleversements en cours (ADEME Infos) ? Qu’est-ce que cela signifie pour eux et comment s’en emparent-ils ? Comment aborder les enjeux de transition dans ces quartiers ? Et quels récits peuvent leur permettre de saisir cette opportunité ? 

Pourquoi le choix de la « mise en récits » pour faciliter la transition écologique de ces quartiers ?

La conduite du changement par la mise en récits est une méthode inspirée par la Fabrique des transitions, qui découle de l’analyse d’expériences de terrains réussies. Elle s’appuie sur 5 dimensions : la mise en trajectoire, la communication sincère, le management par la coopération, l’implication et l’évaluation du changement (CERDD). C’est un moyen de s’adresser à tous les habitants dans leur diversité culturelle et sociale, et de permettre une plus large participation, sans prérequis spécifiques. Ici, notre projet s’est directement adressé aux adultes qui sont acteurs de l’éducation des autres habitants des quartiers. Un des principaux objectifs était de les faire monter en compétences sur ces enjeux pour qu’ils puissent participer à la co-construction des actions menées, plutôt que de leur proposer un projet extérieur prêt à réaliser. Par exemple au Sanitas à Tours, un projet citoyen de potager partagé est né spontanément par l’initiative d’une habitante qui avait été inspirée par le mouvement des « incroyables comestibles ». Cette initiative a ensuite été accompagnée par une association locale, en lien avec le bailleur social qui a mis à disposition les espaces dédiés à la culture. Ici, le projet n'a pas été impulsé par les acteurs associatifs, sociaux ou municipaux, mais ceux-ci viennent en support et en accompagnement pour permettre aux habitants de disposer des moyens d’agir.

Quels sont les principaux enseignements à retenir de cette expérience ? 

Trois grands enseignements ressortent de cette expérience. D’abord, je dirais qu’il a fallu accepter de s’arrêter et prendre le temps de se pencher sur ces enjeux de transition de manière systémique, car l’écologie est souvent pensée de manière ponctuelle et sectorielle au travers par exemple d’actions sensibilisation à des économies d’énergies ou des « clean walk » qui touchent souvent seulement une dizaine d’habitants. La principale précaution a été de ne pas arriver dans une logique descendante. Nous sommes allés voir les acteurs des territoires pour partir de leurs besoins et leur proposer cette expérience en retour. Une fois leur besoin validé, on leur a proposé en tant que tiers-extérieur un cadre de travail dont ils se saisiraient, mais sans donner de leçons. Cela leur a permis de sortir de l’urgence de l’actualité quotidienne en sanctuarisant un temps mensuel et en approfondissant le sens de leur action par la mise en récits. 

Le second enseignement a été de réussir à monter en compétences en même temps. Les différents acteurs du territoire impliqués (associations, bailleurs sociaux, habitants…) ont découvert ensemble la mise en récits, ce qui leur a permis de travailler au même rythme sur un socle partagé, de créer du dialogue et une culture commune. 

Le troisième enseignement a été d’éprouver de la fierté pour inspirer et embarquer. L’idée n’a pas été de dire aux personnes de faire mieux, car beaucoup font déjà bien en termes d’écologie, que ce soit culturellement ou par nécessité, mais plutôt de se demander :  comment peut-on les rendre fières de ce qu’elles font et de ce qu’elles sont pour qu’elles puissent rayonner, inspirer et embarquer les autres à leur tour ? Car en effet, la transition n’est pas seulement une affaire d’écogestes, mais surtout un changement de regard porté sur des modes de vie déjà sobres et vertueux, tout en valorisant les bonnes pratiques. Par exemple, récupérer les invendus à la fin du marché avant qu’ils ne soient jetés représente une activité que l’on fait souvent « la tête basse » lorsque le manque de moyens ne nous permet pas d’acheter de la nourriture. Pourtant, les « bonnes pratiques écolos » nous disent qu’il faut récupérer, éviter le gaspillage, recycler. Cela signifie que non seulement il n’y a pas de honte à avoir, mais qu’il y a de quoi être fier de cette pratique exemplaire. Organiser cette activité, la rendre normale et même inspirante puis la reproduire ou l’amplifier, la mettre en valeur par des articles de presse ou des visites de personnalités sont des évolutions qui transforment les gens, les regards, les envies, les opinions.

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