Antoine Zybura - Le design systémique

Trois questions à Antoine Zybura, designer systémique et coordinateur, facilitateur d’un projet de résilience alimentaire dans le quartier de La Noue à Bagnolet avec Banlieues Climat.

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Publié le 22/07/2024

Aujourd'hui, comment se définit le design systémique et quel rôle peut-il jouer dans les transitions ? 

Le design - au sens le plus répandu (graphisme, design d’objet, d’espace, de service) - adhère depuis longtemps à un système ultra-capitaliste où le dessin est l’outil ultime pour rendre beau, confortable, lisse, utile et donc désirable, ce qui à mon sens ne l’est plus. Une rocking chair, un Iphone, un SUV, un service calqué sur une volonté d’Uberisation, une campagne publicitaire d’un burger triple viande, toutes ces choses passent par l’expertise de designers. Aujourd’hui, je trouve ces choses profondément vides de sens – outre le fait qu’elles verrouillent toute possibilité de penser et proposer différemment –, dans la mesure où cela permettrait de flatter l’égo, d’enrichir une entreprise hors-sol quant aux tensions climatiques, écologiques et sociales ou de créer des symboles d’ascension sociale, des indicateurs de réussite. 

À mes yeux, le design systémique prend le contrepied de ces futilités dans une société qui se crispe indéniablement. Or, ce que je reconnais au design, et que je maintiens dans mon travail, c’est sa méthodologie. Celle qui consiste à comprendre quelque chose qui pose problème par de l’observation, des entretiens, des recherches, de l’analyse, des cartographies, etc. dans le but d’en proposer une alternative créative, systémique, matérielle, enviable, qui contourne les obstacles avec comme moteurs l’éthique, l’empathie, le respect de la terre et d’autrui, tout un tas de valeurs nécessaires à un monde moins émetteur, plus relié au réel, aux humains, à la vie. Le design systémique est une approche méthodologique tant politique que créative, qui permet d'œuvrer sur des territoires, en proposant d’autres manières de faire, de vivre, de voir les choses, de penser. C’est un outil qui nécessite d’aller à la rencontres d’autres métiers - parce qu’on ne maîtrise pas tous les sujets - pour intégrer des connaissances et les considérer dans le processus de création. En effet, selon le sujet traité, il peut s’avérer nécessaire de dialoguer avec des sociologues, des écrivains, des chercheurs, des citoyens des politiques publiques, des artistes, etc. afin de tenir compte des expertises, des besoins, des freins et des leviers pour proposer des solutions adaptées, cohérentes. Le design systémique permet ainsi de faire des ponts entre des parties prenantes, des citoyens, des métiers, des savoir-faire susceptibles d'induire un système vertueux et fédérateur, qui fait bouger les lignes sur un sujet spécifique, avec des réponses logiquement spécifiques, pour avancer en essaim vers une direction souhaitable et maîtrisable. 

Faut-il alors se questionner en amont sur le fond : ce que l’on désire ou non dans un futur enviable, en évaluant en filigrane ce qui est encore possible ou non. C’est là qu'intervient la pensée systémique en amont du design plus traditionnel. Je dirais que 80% de mon travail consiste à comprendre un problème afin d’en définir les meilleurs détours envisageables et que 20% est dédié à la formalisation, au design : créer des objets, des espaces, des schémas, qui matérialisent un concept, le rendant palpable tout en activant du désir par de l’esthétique et des référentiels culturels. Après ma critique du design matérialiste, cela peut sembler paradoxal. Cependant, je crois que sans espace, sans objet, on ne pourra ni rendre enviables ni possibles des systèmes alternatifs. Par exemple, des chaises en matériaux éco-conçus auront rationnellement moins d’impact positif pour aménager le siège social d’une banque qui finance des projets fossiles que des chaises issues de la pétrochimie qui visent à accueillir et offrir le couvert à des réfugiés climatiques. Dans les deux cas, les chaises permettent de rassembler, de créer un espace où il s’y passe des choses concrètes sur des choix de société avec des impacts qui dépassent amplement l’espace où cela se passe. De ce postulat, je pense qu’en tant que designer, j’ai la chance de pouvoir choisir de quel côté de l’histoire je souhaite m’inscrire, en matérialisant notamment des espaces ou des objets qui ancrent dans le réel de nouvelles solutions systémiques. 


Le design pourrait-il permettre de tendre vers une écologie culturelle ?

Je pense en effet que le design est un puissant levier pour tendre vers une écologie culturelle. Parce qu’outre le fait de traiter et proposer des systèmes résilients face aux enjeux planétaires, nous pouvons, en tant que designers, aborder ces visions par le beau, le bon, la culture. Et c’est en passant par la culture qu’on parviendra à semer l’envie d’agir, en faisant en sorte que chacun puisse s’identifier à des réponses par des émotions, des référentiels culturels, etc. 
Je pense qu’on fera réellement ce que l’on résume à de l’écologie, le jour où l’on ne parlera plus d’écologie, mais de bon sens, de perspectives culturelles. On a un rôle clé à jouer en ce sens, étant donné le fait que l’écologie reste souvent mal connotée et peut être perçue comme contraignante, moralisatrice, clivante ou comme un retour en arrière. Or, avec une approche culturelle de l’écologie, on peut aspirer/inspirer à dépasser ces illusions en prenant part activement aux solutions, de manière enviable et voulue.


Pouvez-vous nous parler du projet mené avec Banlieues Climat à Bagnolet dans le quartier de la Noue ? Quelles ont été les motivations et comment cela se concrétise-t-il ?

Nous œuvrons sur un projet qui, à court terme, permettrait d’anticiper le long terme sur la question de la résilience alimentaire à l’échelle d’un quartier. Notre objectif est de mettre progressivement en perspective un système qui permettrait aux 3 500 citoyens du quartier de La Noue d’avoir accès à une alimentation saine, accessible, juste, locale, de la manière la plus autonome possible. 

Pour ce faire, nous allons co-construire, avec les habitants qui le souhaitent, différentes infrastructures extérieures (avec des matériaux issus de la récupération sur des chantiers) : un amphithéâtre, un espace de salon/co-création, une cuisine mobile collective, un four à pain. Une fois matérialisées, ces constructions permettront de fédérer et de faire se rencontrer résidents, experts de la résilience, paysans, commerçants de proximité, agents territoriaux, etc., le tout au travers d’une programmation où s'alterneront conférences, ateliers de sensibilisation, de concertation, de dialogue, de réflexion, de cuisine collective. Ce processus méthodologique a pour vocation de faciliter la compréhension des problèmes, des envies et des besoins, mais aussi des freins et des opportunités afin d’imaginer collectivement un système alimentaire commun, qu’on mettra en place avec une série de jalons et un modèle profitable aux acteurs, du champ à l'assiette, qui souhaitent contribuer à penser et faire de l’alimentation autrement. C’est un sujet fondamental qui permet d’intégrer pleinement les enjeux écologiques globaux et les réalités humaines locales telles que la santé, le bien-être, l’économie, etc. 

D’autant plus que durant mes recherches, j’ai été interpellé par le fait que les habitants issus des quartiers prioritaires figurent parmi les plus vulnérables quant aux conséquences du dérèglement climatique, alors que paradoxalement, ils et elles en sont souvent les moins responsables. Il en va de même pour de nombreux citoyens issus du monde rural, en particulier dans les métiers agricoles. Nous sommes dans une ère d’urgence, il en va du bon sens d’intervenir au service de celles et ceux qui sont et seront les premiers concernés. Or, on constate que les mouvements écologistes ne sont pas représentatifs de la population française dans son ensemble. On peut expliquer cela par le fait qu’au sein des quartiers, il existe de nombreuses priorités sociales (accès à l’emploi, pratique de métiers difficiles sur les plans psychologique et physique, précarité, etc.) qui relèguent souvent la question écologique au second plan. 

En outre, l’enjeu pour ces quartiers n’est pas le même qu’ailleurs, il ne s’agit pas nécessairement de consommer moins, puisque c’est en partie déjà le cas de manière contrainte. C’est l’injustice de la vulnérabilité qu’il faut soigner, et ça passera à mon sens par la résilience, par des mouvements collectifs qui s’organisent autour de solutions d’atténuation et d’adaptation libératrices. La solidarité, c’est une valeur profondément ancrée à La Noue, c’est la meilleure arme du projet. Mais avant d’en arriver à la résilience, faut-il désirer agir. C’est là qu’intervient la culture. Sans les dimensions culturelles, c'est-à-dire sans créer des moments conviviaux et positifs, sans liens humains, sans nouveaux supports symboliques, on ne donnera pas l’envie de changer de système et de perceptions. Car l’écologie contraignante et punitive, ça ne fait pas rêver. Et c’est aussi ce sur quoi nous agissons avec Banlieues Climat.

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