Avec la Loi Climat et résilience, le greenwashing est désormais explicitement reconnu comme pratique commerciale trompeuse. Est-ce une avancée significative dans la lutte contre les allégations environnementales trompeuses ?
L’interdiction des pratiques commerciales trompeuses existe depuis nombreuses années, au titre de la directive européenne sur les pratiques commerciales déloyales et sa transposition en droit français aux articles L121-1 et suivant du Code de la consommation. Cette interdiction s’applique aux allégations environnementales trompeuses comme l’a montré la condamnation en 2007, puis confirmée en cassation (Cass. crim., 6 oct. 2009, n° 08-87757), de la publicité de Monsanto présentant son herbicide Roundup, comme biodégradable et sans effet sur l’environnement, jugée mensongère et trompeuse pour le consommateur. La Loi Climat et résilience ancre ce principe en spécifiant que les allégations environnementales entrent bien dans le périmètre des pratiques commerciales trompeuses. Elle précise également que les engagements affichés par les entreprises en matière environnementale sont aussi soumis à l’interdiction des pratiques commerciales trompeuses. Cela signifie que les allégations qui ne portent pas directement sur un produit ou service, mais sur l’entreprise elle-même comme les engagements de « neutralité carbone », sont aussi concernées.
Vous travaillez avec différentes ONG de protection de l’environnement et de défense des consommateurs et vous avez déposé plusieurs recours contre des pratiques de greenwashing des entreprises sur le fondement de l’interdiction des pratiques commerciales trompeuses. Quelles sont les différentes étapes de la procédure judiciaire ? Quels sont les délais et les sanctions possibles ?
Il y a plusieurs procédures juridiques ouvertes aux associations agréées de défense des consommateurs ou de protection de l’environnement souhaitant s’attaquer aux pratiques de greenwashing.
Elles peuvent d’abord emprunter la voie pénale en déposant une plainte avec constitution de partie civile puisque les pratiques commerciales trompeuses sont constitutives d’une infraction pénale passible de 2 ans d’emprisonnement. Les sanctions financières encourues sont significatives : elles peuvent théoriquement aller jusqu’à des amendes d’1,5 millions d’euros et 10% du chiffre d’affaires. En revanche, ce type de procédure peut s’avérer longue et incertaine en raison du peu de jurisprudence en la matière.
Il y a ensuite la voie civile qui permet aux associations, au travers d’une action en responsabilité de demander la cessation des pratiques et l’indemnisation du préjudice. Par exemple, dans l’action initiée contre TotalEnergies, les associations que je représente demandent en substance la cessation de l’utilisation d’allégations environnementales qu’elles jugent trompeuses, et le cas échéant, que certaines allégations utilisées soient accompagnées d’informations complémentaires sur l’impact des énergies fossiles. Ce type d’action peut prendre 2 à 4 ans.
Enfin, il y a la voie administrative, plus rapide, par laquelle la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) peut, de son fait ou sur signalement, enclencher une enquête. Si celle-ci conduit à la constatation d’une infraction, la DGCCRF dispose de la faculté d’imposer aux entreprises contrevenantes la cessation des pratiques, de négocier une amende transactionnelle ou de transmettre le dossier au parquet.
Les relations entre l'entreprise et ses consommateurs sur le volet des allégations environnementales sont-elles en train de se « judiciariser » ? Est-ce de nature à rendre les entreprises et leurs agences plus prudentes et à davantage prendre au sérieux les enjeux de communication responsable ?
Les entreprises et les agences avaient peut-être jusqu’à présent une perception du risque assez lointaine, du fait du peu de condamnations et de sanctions en la matière. Mais à mon sens, cela est en train de changer. D’abord l’évolution de la société expose les entreprises ayant recours à des pratiques de greenwashing à un risque d’image significatif, puisqu’il est de plus en plus courant qu’elles se fassent épinglées sur les réseaux sociaux. Ensuite, nous constatons que les associations n’hésitent plus à lancer des actions en justice pour combattre le greenwashing qu’elles identifient comme un verrou majeur au changement des comportements des entreprises et des consommateurs. Il existe enfin un mouvement en France et à l’échelle européenne pour durcir les interdictions et les sanctions en matière de greenwashing.
La Commission européenne a ainsi présenté un projet de révision de la directive sur les pratiques commerciales déloyales aux termes duquel les allégations dites « génériques » (comme « respectueux de l’environnement », « neutre pour le climat», etc.) seraient interdites - sauf si l’entreprise est capable de démontrer une performance environnementale excellente reconnue et pertinente pour l’allégation ou si l’allégation est précisée par des termes clairs et bien visibles sur le même support. Cela pourrait faciliter la condamnation de ces pratiques puisqu’il ne sera plus nécessaire de montrer au cas par cas le risque de tromperie du consommateur moyen.