Le Campus des Transitions propose des enseignements pluridisciplinaires et immersifs pour former les étudiants aux métiers d’avenir, avec un fort ancrage territorial et des relations à l’international (notamment par l’intermédiaire d’un programme France-Europe du Nord reliant le campus à des universités nordiques, baltiques et arctiques). Depuis 2022, un module de formation sur l’Écologie culturelle y est dispensé afin de mieux appréhender les liens entre transition écologique et transition culturelle
Quels rôles jouent les communicants et les marques dans l’émergence d’une Écologie culturelle ?
Je dirais qu’ils jouent un rôle ambivalent. L’Écologie culturelle se veut être une réponse pour remédier à la solitude et la désincarnation notamment provoquées par l’individualisme et l’hyper concurrence, l’accélération de nos modes de vies, la transformation des individus et des territoires en cibles… Si par marque on entend marketing, et que celui-ci s’inscrit dans une démarche de concurrence exacerbée, d’ultra-spécialisation et de circuits longue distance dans laquelle on perd la capacité d’embrasser une dynamique holistique, alors cela ne résonne pas avec les intentions de l’Écologie culturelle, puisque celle-ci tend justement à nous réinscrire dans une approche globale, en réhumanisant les individus et en redonnant de la profondeur aux territoires. C’est en ce point que les entreprises et les marques ont un immense rôle (au sens des marqueurs territoriaux), car elles peuvent contribuer à rendre visible des aspects de l’écologie pour en faire une fierté individuelle et collective. Elles peuvent aussi nous permettre de nous rapprocher socialement, de mieux nous inscrire dans l’espace qui nous entoure et de faire exister les territoires.
Justement, quelle est la place des territoires dans cette transition culturelle ?
Le territoire possède 4 caractéristiques : il nous situe et nous ancre géographiquement ; il mobilise notre sentiment affectif, émotionnel, corporel ; il nous est familier, donc nous parle et nous concerne ; il permet l’appréhension du vivre ensemble et de l’altérité. Le territoire a donc la capacité de cultiver une écologie de la présence qui nous resocialise et nous réhumanise, en donnant vie à des récits performatifs qui transmettent un imaginaire et provoquent un désir d’agir. Mais nous pouvons y parvenir seulement si on a conscience de qui nous sommes et d’où nous venons. Dans l’Écologie culturelle nous défendons la vision d'une écologie située. Une écologie en 3D - véritable remède à l'éco-anxiété - qui associe le présent au passé, pour construire un futur désirable. Elle s'articule aux 3A : Apprendre, Aimer et Agir. Les récits de territoires peuvent alors nous aider à changer notre vision de la transition, qui n’a pas une forme linéaire et qui n’est pas uniquement une question de renoncement. Il s’agit en réalité de passer à une société de l’insertion, de prendre conscience du « déjà-là ». C’est comme si nous étions devant un champ des possibles, et que nous demandions quels sont les possibles non activés dans une logique de rééquilibration.
Cela signifie que les récits doivent plutôt nous donner à voir ce que nous pouvons faire à partir de l’existant ?
Les récits n’ont pas besoin de nous emmener ailleurs, car il y a peut-être des composantes devant nous que nous pouvons activer, et d’autres pour lesquels il convient de se demander s'il est nécessaire de les activer. Ce type de récit va plutôt nous révéler de manière impactante des choses qui sont sous nos yeux mais que nous n’avions pas remarqué ou suffisamment considéré jusqu’à présent. Cela permet ainsi d’être au plus proche des réalités existantes et d’impliquer davantage les populations, en construisant des récits performatifs à partir des différentes caractéristiques (topographiques, historiques, culturelles, spirituelles, économiques…) du territoire. La culture et l'art ont une place clé dans l’Écologie culturelle. Ils permettent de développer une écologie du sensible, qui parle à l'intime, et ne fait pas appel à la raison seule. Le processus de création artistique et ludique constitue une méthode efficace pour dépasser le récit ambiant de la surconsommation, et construire le monde de demain.
Quels types de récits performatifs sont aujourd’hui à l’œuvre dans les territoires ?
Plusieurs récits émergent déjà des territoires et alimentent différents imaginaires qui peuvent alors être mis en pratique et vécus. Je pense notamment aux récits des territoires insulaires ou isolés qui nourrissent déjà de nouveaux imaginaires liés à l’autosuffisance, la frugalité, la solidarité… Les communautés littorales incarnent quant à elles bien souvent l’adaptation, la résilience, la résistance. Les récits des biorégions ou ceux autour des communs territoriaux, qu’il s’agisse de bâtis partagés comme les maisons de la Béate ou les Agdals dans le Haut-Atlas, peuvent aussi nourrir un imaginaire de la juste mesure des besoins, d’équilibre dans la gestion des ressources et de co-existence avec les autres vivants. Enfin, les alliances d’acteurs peuvent entretenir un imaginaire lié aux symbioses, aux systèmes et écosystèmes, au réseau, aux solidarités territoriales ; et le voisinage (quartiers, villages urbains ou ruraux, habitat collaboratif, rue-place, jardin partagé) un imaginaire lié à la proximité, aux circuits-courts, à l’entraide. C’est ainsi que ces récits performatifs contribuent à faire émerger un nouvel imaginaire collectif qui implique et fédère les citoyens autour des enjeux de transitions.