Les critiques sont nombreuses à l’égard de la « com » et pourtant vous défendez l’idée d’une autre forme de communication, une communication dite « responsable». Pour quelles raisons ? De quoi s’agit-il ?
Alors que nous vivons et consommons au-dessus des ressources de la planète, que la publicité, la mode, les évolutions technologiques permanentes... nous poussent à accumuler et à renouveler rapidement nos biens, il est temps de proposer une autre vision du monde, loin de celle nous faisant percevoir la croissance de la consommation comme la seule mesure de notre bonheur. Il nous faut également questionner nos besoins et les satisfaire tout en limitant leurs impacts sur l’environnement, c’est-à-dire en adoptant une logique de sobriété.
En tant que puissant vecteur de transformation culturelle, la communication dispose d’un très fort pouvoir d’influence sur la société. Elle transmet des messages, des valeurs et des modèles culturels qui contribuent eux-mêmes à faire évoluer les imaginaires et les normes ou représentations.
Aujourd’hui, les messages, les stéréotypes et les représentations que la communication véhicule, en particulier via la publicité, sont majoritairement contraires à la modération de la consommation et donc à l’évolution de la société pour répondre aux enjeux climatiques et écologiques. Nous sommes dans une société où l’avoir prédomine, alors qu’il nous faut aller vers une société alignant l’être et le faire. Vaste programme !
Je suis persuadée que la filière communication peut mobiliser tout son talent afin de participer à l’émergence de nouveaux imaginaires « plus compatibles » avec la transition écologique et contribuer à valoriser les nouveaux modes de vie plus respectueux des humains et de la Terre : de nouvelles façons d’habiter, de se déplacer, de se nourrir, de s’équiper… bref, un nouveau vivre-ensemble. Mais pour cela, elle doit se transformer en profondeur et s’engager dans une démarche sincère et transformatrice. Cela signifie concrètement aller au-delà d’une simple justification d’améliorations à la marge ou de la mise en place de démarches qui peuvent apparaître comme cosmétiques. Il ne faut pas se contenter d'élaborer des plans de communication responsable qui s’appuient uniquement sur des messages plus éthiques et une agence labellisée sans démontrer en quoi cela accompagne aussi la mutation sur le fond de l’organisation et de ses clients, ce qui transforme ainsi régulièrement les communicants en instruments de la reproduction de nos modèles existants. Heureusement, certains acteurs de la communication publique, de la communication des marques ou encore des médias s’engagent progressivement dans la voie de cette transformation profonde ; le partage de leur expérience est à encourager.
Quels sont les principaux enjeux associés à cette transformation ?
L’un des enjeux est évidemment de lier communication et actes, discours et preuves concrètes. Cela signifie également de ne pas privilégier la formule choc, le « bon mot » (comme par exemple « service neutre en carbone », « produit écologique », « 1 produit acheté = 1 arbre planté » ...), par rapport à la réalité des actions menées, afin de ne pas induire le public en erreur et de ne pas freiner la diffusion de récits mobilisateurs et inspirants.
« L’un des enjeux est évidemment de lier communication et actes, discours et preuves concrètes »
Il s’agit en outre d’avancer avec humilité, honnêteté et transparence. Les citoyens n’attendent pas des marques « parfaites » mais a minima des marques qui ont saisi l’ampleur des enjeux, agissent en cohérence et s’interrogent réellement sur leurs pratiques et leur impact sur l’environnement et dans la société. La lutte contre les infox qui se déversent sur les citoyens et les consommateurs est aussi au cœur de ces questionnements, et il convient d’adresser également dans ce cadre la question des relations presse et des relations avec les influenceurs. Les organisations, et notamment les marques, qui réussiront à résoudre cette équation (moins ET mieux, plus responsable, plus éthique, plus inclusif…), qui donnent des solutions et des alternatives, sans en faire un argument de « com », iront dans le bon sens.
Enfin, la co-construction est indispensable pour proposer un récit inclusif qui puisse faire évoluer nos représentations mentales et ainsi réenchanter notre imaginaire, loin des dissonances cognitives qui minent la volonté à s’engager. Un récit qui crée un nouvel élan et impulse de nouvelles tendances plus vertueuses comme l’entraide, le partage, le don, le réemploi ou la réparation mais, surtout, le faire-ensemble...
Cela ne signifie pas une communication qui occulte les doutes, les menaces et les difficultés, mais une communication moins incantatoire, plus juste et transparente qui sache en même temps redonner espoir. Une communication qui apporte l’information indispensable pour comprendre les enjeux auxquels nous faisons face, mais dans le même temps une communication aussi plus sensible qui permette de faire le lien avec nos vies quotidiennes via des exemples concrets ou des images parlantes, afin que chacun puisse se sentir touché personnellement, donnant ainsi l’envie d’agir ; je parle ici du lien émotionnel qui poussera à l’action car nous ne sommes pas que des êtres rationnels… Loin de là, sinon nous aurions agi depuis longtemps !
Les professionnels de la communication sont-ils « équipés » pour opérer cette transformation ? Comment faire pour leur donner l’envie et les moyens de changer leurs pratiques ?
Ces évolutions passent par un effort de formation important afin de mobiliser les responsables actuels et futurs sur les questions écologique, sociétale et éthique, mais plus largement sur le passage d’une logique de compétition à une logique de coopération pour co-construire les solutions de demain. La formation constitue à ce titre un maillon essentiel pour s’approprier les enjeux systémiques de la transition écologique, encore trop largement méconnus par les professionnels de la communication et du marketing. D’ailleurs, on voit qu’une forte demande émerge du côté des jeunes professionnels en activité ou en devenir.
« La formation constitue un maillon essentiel pour s'approprier les enjeux systémiques de la transition écologique »
Nous devons répondre à ces attentes en lançant des grands plans de formation tant sur les grands enjeux que sur les nouvelles compétences à acquérir afin de nous mettre sur la voie du sens et de la cohérence. Ces actions vont de l’offre au sein même des cursus des universités et des écoles, donc au niveau de la formation initiale, jusqu’à la formation continue au sein des organisations, car les sujets liés au changement climatique et à la biodiversité s’inscrivent dans un monde complexe où l’incertitude est prégnante, ce qui nécessite de mobiliser des savoirs issus de nombreuses disciplines, et sans doute fondés sur une nouvelle pédagogie amenant à une transformation profonde de soi et du nous collectif.