Pourquoi s’intéresser à l’imaginaire dans un contexte de métamorphose écologique ?
Face aux bouleversements planétaires actuels, tant écologiques que sociaux, une réelle transformation systémique s’impose. Or cette métamorphose présuppose une transition culturelle – entendue comme un renouvellement des imaginaires, des systèmes de valeurs, des normes sociales et des pratiques en réponse aux enjeux planétaires –, impliquant ainsi une diversité d’ « imaginacteurs » provenant de tous secteurs, c’est-à-dire de personnes ou d’organisations ayant la capacité d’éclairer et d’influencer fortement nos imaginaires durant notre vie.
On pourrait définir l’imaginaire comme l’ensemble des images et des représentations qui façonnent notre système de sens. Souvent connoté comme relevant de la fiction ou de l’irréel, l’imaginaire est pourtant au fondement de l’expérience humaine. Il structure notre compréhension et notre interprétation du monde, nourrit nos rêves et nos aspirations, nos manières de penser, de ressentir et d'interagir avec le monde.
Or dans ce contexte de métamorphose, nous pourrions distinguer deux manières d’appréhender l’imaginaire. D’un côté, l’imaginaire peut être abordé pour nous détourner du réel, nous maintenir dans l’inaction voire nous acclimater au pire. Cet imaginaire est celui de la distraction et véhicule la vision des grands récits dominants. Il peut se partager massivement dans la société à travers de courtes vidéos sur les réseaux sociaux, des séries sur les plateformes de streaming, des publicités, etc. Mais l’imaginaire peut aussi être appréhendé pour nous relier davantage au réel, pour approfondir nos rapports au monde et parfois même nourrir notre puissance d’agir. Cet imaginaire est celui qui nous nous engage un peu plus dans le monde, ouvre des possibles. Il peut se partager plus qualitativement à travers des œuvres à impact, des documentaires, des événements engageants, etc. L’enjeu étant de se questionner sur les manières d’amplifier ce type d’imaginaire à travers la mise en récit des enjeux de transitions dans une approche de culture populaire ancrée à l’échelle locale.
Dans ce contexte, quels sont les dangers du "narrative-washing" et comment le dépasser ?
Le narrative-washing – ou écoblanchiement par les récits – consiste à s’approprier des éléments de récits émergents (comme la régénération, la résilience ou la sobriété) dans des finalités marchandes ou politiques sans pour autant se traduire par des transformations systémiques de l’organisation qui les mobilise. On pourrait penser par exemple à une marque de luxe qui s’engagerait sincèrement pour une agriculture régénératrice, mais seulement pour un produit de sa gamme, en maintenant toujours un modèle d’affaires reposant sur des ventes en volume. Bien que cette démarche représente un premier pas vertueux, si elle fait l’objet d’une communication disproportionnée, elle peut alors clairement nous induire en erreur. C’est pourquoi le récit ne doit pas, à l’image du progrès technique, devenir une fin en soi, et qu’une concrétisation matérielle de l’imaginaire et des expériences sensibles s’avèrent nécessairement complémentaires pour éviter ces dérives.
Au contraire, une approche de mise en récit authentique implique de la transparence, une transformation systémique de l’organisation et une vision à long terme, au risque de rester dans du storytelling d’entreprise ou politique, c’est-à-dire de raconter de belles histoires tronquées au profit d’intérêts particuliers et souvent au détriment des métamorphoses sociétales que nous devons engager. Cette démarche nécessite également d’écouter et de coopérer avec l’ensemble des parties concernées (collaborateurs, fournisseurs, élus, citoyens, etc.) pour éviter l’écueil des récits descendants qui ne prennent pas en considération la pluralité des rapports au monde et des aspirations. L’idée étant de permettre aux citoyens à la fois de se détacher des récits dominants tout en redéployant leurs capacités imaginatives et leur puissance d’agir sur ces enjeux.
Cependant et pour aller plus loin, on constate que la notion même de “mise en récit” sur les défis sociaux et écologiques, qui consiste à utiliser la forme narrative pour partager des informations ou mettre en avant des actions sur ces enjeux, fait aussi l’objet de réappropriations dans des approches marketing ou des discours politiques.
Par conséquent, il s’avère nécessaire d’apporter des preuves des récits invoqués afin de justifier la sincérité et la crédibilité des actions déployées.
Selon vous, quels sont les acteurs les plus à même de faire évoluer nos imaginaires ?
Dans le rapport Mobiliser la société à travers le prisme de l’imaginaire (ADEME, 2024), nous identifions plusieurs grands acteurs de l’imaginaire avec lesquels avancer. D’abord, on peut souligner le rôle clé des acteurs culturels (au sens des Industries Culturels et Créatives, des artistes et des intellectuels) qui exercent une forte influence sur nos imaginaires au quotidien à travers l’élaboration et la diffusion de contenus culturels. Mais on peut également noter le pouvoir particulier qui se trouve dans les mains des artisans et des designers, qui ont cette capacité à mettre en forme l’imaginaire et lui donner de l’épaisseur à travers des espaces, des objets, des services, etc. Dans cette même idée, on comprend que les acteurs territoriaux peuvent également exercer une forte influence dans l’évolution des imaginaires sociaux par l’aménagement d’espaces ou la mise en récit, que nous parlions des collectivités, des urbanistes, des architectes, des paysagistes, de lieux en faveur des transitions.
Quels axes d’action identifiez-vous pour mobiliser la société à travers le prisme de l’imaginaire ?
Pour tenter d’y répondre, nous avons dessiné 4 grands axes stratégiques d’action en identifiant plusieurs ressources et initiatives inspirantes. Ces derniers soulignent d’une part le besoin de développer la recherche pour améliorer la connaissance sur les enjeux de transition culturelle et valoriser davantage des travaux d’expertise par l’approche de la mise en récit. Ils révèlent ensuite la nécessité de former les imaginacteurs à ces enjeux, l’intérêt de nous projeter collectivement à travers des ateliers et des créations culturelles mais également de s'appuyer sur des initiatives qui incarnent déjà d’autres imaginaires plus en phase avec les enjeux planétaires et qui peuvent nous permettre d’en faire activement l’expérience.
Pour aller plus loin :
Publication : Mobiliser la société à travers le prisme de l'imaginaire - Jules Colé/ADEME
Pourquoi s'intéresser aux imaginaires, à la mise en récit ? Avec qui agir ? Comment s'y prendre ? Ce rapport explore les manières de mobiliser la société sur les enjeux de transitions à travers une revue de littérature et quinze entretiens avec des chercheurs....