Ferréole Lespinasse - Faire moins et renoncer : la voie pour communiquer autrement

Interview de Ferréole Lespinasse (Cyclop Éditorial) qui accompagne les entreprises, entrepreneurs et institutions en rédaction de contenus et sobriété éditoriale.

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Publié le 21/12/2023

Mesurer pour comprendre les impacts environnementaux de sa communication, c’est bien. Mais, ce n’est qu’une étape. Il ne faudrait pas s’en arrêter là. Et si le point central d’une communication responsable était ne pas faire, voire même de renoncer ? Sans que ce renoncement ne soit perçu comme un échec ni ne provoque une dégradation de l’expérience utilisateur.

Mesurer, c’est pour se donner bonne conscience ?

Une large partie de la responsabilité, soutenue par l’écoconception, repose sur la mesure.

Alors, des tas d’outils se mettent en place :

  1. certains en libre accès,
  2. d’autres sur abonnement, très sophistiqué, avec un coût d’utilisation associé à la hauteur de la sophistication.

La mesure, c’est bien. Elle donne un point de départ à ne plus dépasser, pour réduire l’impact de ses actions.

On peut mesurer des impacts environnementaux et sociétaux, certains vont même jusqu’à mesurer la création de valeur ou l’impact des messages sur les représentations.

Bien sûr, mesurer est le premier pas pour rendre compte d’efforts fournis et renseigner un bilan carbone.

Attention, toutefois car un pas pourrait être vite franchi : s’autocongratuler avec des chiffres qui prouvent qu’on n’est pas trop irresponsables sans pour autant remettre en cause la pertinence de ses actions.

Et si la vraie question n’était pas tant de chercher à verdir ses actions qu’à transformer complètement sa communication ?

Votre leitmotiv est de réduire, voire de renoncer, à certaines publications. Pouvez vous nous expliquer plus précisément ?

Le renoncement est un mot qui peut faire peur. À certains.

D’autres, comme Alexandre Monin [1], nous l’expliquent simplement avec bon sens. Alexandre envisage la redirection écologique pour « déterminer les technologies à abandonner et les infrastructures néfastes dont il faut se séparer ». Il parle également de « communs négatifs ». Je précise : l’objet n’est pas de refuser la modernité, mais d’utiliser la technologie à bon escient en fonction de son utilité et de son devenir également. « Il faut donc identifier ceux qu’on veut conserver, pour arrondir le passage vers la soutenabilité forte. »

Loin d’une pensée radicalisante, appliquons ces préceptes à la communication. Depuis 15 ans, tous les communicants sont biberonnés au calendrier éditorial et sommés de publier partout et régulièrement. Pour être visible. 

Est-ce réellement pertinent lorsqu’une étude AHREFS [3] explique que 90% des pages du web n’ont aucun trafic.

Une étude de la Fondation Jean Jaurès[4] annonce que 53% des Français souffrent de fatigue informationnelle. Elle souligne également que 72% des personnes cessent de consulter les informations [5]. À une époque où le burn-out est en passe de devenir la maladie du siècle, notre responsabilité de communicant ne serait-elle pas de réduire, voire de renoncer à certaines publications ? [6] Car, à force de publier ad nauseam, nous sommes responsables de cette invisibilité des marques qui les poussent à communiquer plus, en vain.

C’est en ce sens que la sobriété éditoriale est un point central de la communication responsable, voire même un pré requis.

« Dans un contexte d’obésité informationnelle, l’approche par la sobriété éditoriale questionne les origines du dysfonctionnement. En considérant le besoin, elle évalue l’intérêt d’un contenu au regard de son utilité pour le public et de son efficacité pour la communication de l’organisme. Ralentir sa production de contenus, piloter leur cycle de vie, questionner l’efficacité et la pertinence de sa stratégie de publication, choisir le format le moins énergivore tout en préservant une expérience de qualité pour l’usager sont autant de bonnes pratiques à déployer pour, enfin, mettre en œuvre une communication responsable. »[7]

Comment changer nos manières de faire pour renoncer facilement ?

Si nous appliquons la grille de lecture de la sobriété éditoriale, pour chaque action de communication, appuyons-nous sur le triptyque utilité / efficacité / performance.

Utilité

  1. Est-ce utile pour remplir mes objectifs stratégiques ?
  2. Est-ce utile pour mes publics ? Concernant l’utilité du message pour les publics, nous pouvons nous appuyer sur les 17 objectifs de développement durable (ODD). Le contenu leur apporte-t-il une réponse ? Bien sûr, cela invite également à vérifier si l’activité menée est cohérente avec ces objectifs.

C’est d’ailleurs ce que propose l’arbre décisionnel [8] mis au point par les Designers éthiques : réaliser un service numérique seulement s’il traite de l’un des 17 ODD ou apporte une réponse à l’une des 9 limites planétaires. Un bel écho également dans le Bon Digital : « le cœur du numérique responsable ou d’un design éthique reste de concevoir un numérique utile, donc d’éviter de concevoir des services inutiles ou pouvant fonctionner sans numérisation. (…) [Il s’agit de ] proposer un numérique utile et plus durable quand il est nécessaire, et une dénumérisation quand celle-ci devrait s’appliquer. »

Efficacité

  1. Est-ce efficace pour remplir mes objectifs stratégiques
  2. Est-ce que cela aide mon public à réaliser son action ?

Performance

  1. Quelle est la solution technique la plus sobre pour le mettre en œuvre au regard de son efficacité ? C’est clair qu’il est plus facile alors de jauger une action de communication avant de la réaliser.
  2. Celles qui ont un fort impact environnemental, peu d’utilité ce qui signifie qu’elles apportent donc une charge mentale supplémentaire, et qui ont peu d’efficacité : facile d’y renoncer. La dénumérisation est alors évidente.
  3. Celles qui ont un impact environnemental, aucune utilité pour mon public, mais me permettent de mettre en avant ma structure : le sujet est délicat, mais sans doute envisageons-nous d’y renoncer. Du moins en partie. Par exemple, pour la communication financière, réservons ces données aux communiqués de presse et non aux réseaux sociaux. Et observons le résultat ou ce qui a changé.
  4. Celles qui ont un impact environnemental fort, mais qui permettent de changer le monde et les visions, alors nous pouvons décider de les faire en toute conscience.

À ce moment-là, nous pouvons écoconcevoir le message, réfléchir à sa durée de publication. Cela peut alors nous ouvrir la voie à :

Supprimer

Lorsque le Département de l’Ain a décidé de « nettoyer » le site de contenus obsolètes, ce sont 60% des actus en ligne qui ont été supprimées. Après une chute de trafic le premier mois, la fréquentation est revenue à environ 10% du total des visites du site. Une légère perte (moins de 1%) souligne qu’il s’agit d’actus de faible intérêt.

Décider de ne pas faire 

Les structures qui réduisent l’envoi de newsletters en se concentrant sur celles qui sont stratégiques ne voient par leur taux de lecture se modifier. Aucun client ne les appelle pour demander plus de communication

Renoncer

N’ayons plus aucun scrupule à renoncer à une action de communication. Combien d’entreprises annoncent quitter Twitter ou autres réseaux sociaux ? Ont-elles vu pour autant leur intérêt décroître ? Lorsque la marque de cosmétiques Lush qui a renoncé aux réseaux sociaux malgré l’approche de Noël, ses ventes n’ont pas pour autant chuté.

Il s’agit, bien sûr, de ne rien supprimer qui aurait une importance stratégique et surtout d’expérimenter, par petits pas, et avec constance.

Mesurer autrement

Et si on mesurait ce que l’on fait en moins ? Moins d’articles produits, plus d’articles recyclés ? Plus d’articles supprimés, plus d’articles fusionnés ?

Renoncer cela demande plus d’imagination, de faire différemment pour créer une nouvelle communication. Mais n’est-ce pas le mot d’ordre de notre époque ? Mon objectif est d’inviter les communicants à remettre en cause la production de contenus. Pour ne plus communiquer par habitude, mais pour porter une réflexion stratégique et gagner en envergure.

J’ai développé toute la méthode dans mon livre « Sobriété éditoriale : 50 bonnes pratiques pour écoconcevoir vos contenus web [9] » afin de guider chaque communicant et l’aider à réfléchir à la pertinence de sa publication de contenu. Il est assorti d’une liste de règles de validation en libre accès pour évaluer la maturité en sobriété éditoriale de son site. J’ai mis toutes les informations dans le livre et sur la liste de règles : www.sobriete-editoriale.fr.

 

Ferréole Lespinasse : Conseil & formation en sobriété éditoriale, refonte de site internet et rédaction – Cyclop Editorial

 

_________

[1] Il vient de publier Politiser le renoncement (Divergences, 2023) 

[3] 90.63% of Content Gets No Traffic From Google. And How to Be in the Other 9.37% [New Research for 2020] 

[4] Les Français et la fatigue informationnelle. Mutations et tensions dans notre rapport à l’information, septembre 2022 

[5] Note : Les chiffres cités concernent le digital dans lequel il est plus facile d’obtenir des chiffres, néanmoins le raisonnement s’applique à la communication tous supports.

[6] Dérèglement informationnel : la part du communicant 

[7] Découvrir la sobriété éditoriale 

[8] Découvrir la sobriété éditoriale

[9] Découvrir la sobriété éditoriale

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