Communication responsable : les agences sont-elles prêtes ? Regards croisés avec Caroline Darmon et Luc Wise

Six questions à Caroline Darmon, Directrice RSE France de l’Agence Publicis et Luc Wise, PDG et fondateur de The Good Company.
Publié le 14/10/2025

Pour vous, à quoi reconnaît-on une communication vraiment responsable aujourd’hui ?

Quels sont les critères indispensables ?

Au niveau de l’expression des messages, une communication responsable doit s’appuyer sur un discours de preuves. L’opinion publique est de plus en plus méfiante au sujet des “washings” : greenwashing, socialwashing, femwashing ... et cela à juste titre ! Les professionnels de la communication, doivent se forger une culture des sujets environnementaux et sociaux et scrutent de près, voire challengent, les preuves avancées avant de communiquer dessus.

Au niveau de la production des messages, on doit prendre en compte, mesurer et s’efforcer de diminuer ses impacts négatifs. Cela passe notamment par des engagements en termes d’éco-socio-production et un usage de l’IA réfléchi et raisonné.

Enfin, au niveau de la diffusion des messages, il faut réfléchir aux médias et aux canaux utilisés, à la fois en termes environnementaux mais également sociaux et démocratiques. Le bilan carbone d’un média ne peut pas être le seul critère de choix responsable. Nous sommes dans une période de l’Histoire où notre santé mentale et la robustesse de nos modèles démocratiques sont sous pression. Il est de notre devoir de réfléchir à ces sujets, y compris dans les médias que l’on choisit de financer.

 

Faut-il fixer une ligne rouge claire (ex : ne plus travailler pour certains secteurs) ?

Il y a des secteurs - tabac ou alcool - où les pouvoirs publics ont déjà légiféré, mais avec la prolifération des canaux de diffusion et la mondialisation des espaces informationnels, un législateur national ne peut pas tout régler.

Il est donc essentiel que chaque entreprise œuvrant en communication fasse des choix forts et fixe ses propres limites. De manière plus générale, si un individu ou une entreprise ne souhaite pas faire la promotion d’une activité ou d’une entreprise, chacun doit pouvoir exercer son droit de retrait en toute liberté. On remarque que dans le monde des agences, de tels engagements s’amplifient.

 

Est-ce la communication qui doit s’adapter à la transformation des entreprises, ou peut-elle la précéder, voire l’initier ?

La communication responsable doit d’abord rendre compte de la réalité des entreprises en mettant en avant les preuves de leurs engagements. Ceci étant, la communication peut aussi jouer un rôle clef dans la transformation d’une entreprise. En rendant compte de ce que l’entreprise fait de responsable, elle peut attirer de nouveaux talents, rendre fier et mobiliser les collaborateurs autour d’un projet à impact, conforter les dirigeants dans leurs démarches RSE ou renforcer les attentes d’investisseurs. En cela, elle peut être un moteur extrêmement puissant du changement.

 

La communication responsable consiste à revoir les modèles. Est-ce que les agences, aujourd’hui, sont prêtes pour cette transformation ?

Les modèles économiques des agences (volume, appels d’offre, compétitions non rémunérées…) sont-ils compatibles avec la responsabilité ?

Les agences de communication en France subissent une baisse de revenus et de profitabilité significative et continue depuis 30 ans. Au moment où toutes les agences cherchent à réinventer leurs modèles, il est vital d’en trouver qui conjuguent performance économique et performance sociale et environnementale.

Le sujet des appels d’offres est un sujet important car il allie des enjeux économiques, sociaux et environnementaux. Il est évident que des compétitions non–rémunérées, sans règles équitables, avec un nombre élevé d’agences et pour des contrats de courte durée …  sont irresponsables, usent les êtres humains, dilapident les ressources économiques et écologiques, mettent à mal tout l’équilibre de notre écosystème. Un annonceur qui se dit “responsable” doit l’être y compris dans la manière de choisir ses partenaires. Côté agence, il faut aussi accepter d’investir en temps et argent pour former solidement les talents à la communication responsable car c’est le préalable à toute transformation, et aussi mettre en place des outils, process, Kpi… qui facilitent la mise en application.

« Le challenge des briefs annonceurs en est un bon exemple aussi bien au niveau de la nature des offres à mettre en avant que de preuves robustes qui sont autant de “raisons de croire” aux messages exprimés. Il s’agit ainsi de considérer tout ceci comme un investissement et non un coût. »

Caroline Darmon, Directrice RSE France de l’Agence Publicis.

Portrait de Caroline Darmon

 

Que faudrait-il changer structurellement dans la chaîne de valeur (relation client-agence, briefs, évaluation de l’impact…) ?

Pour créer de la valeur durable il faut des relations qui durent. Or, le capitalisme en général, et nos professions en particulier, ont tendance à privilégier les résultats à court-terme. Il est essentiel d’inverser cela.

« “Rome ne s’est pas faite en un jour” et toute transition réelle et durable nécessite du courage, de la ténacité et de la continuité. »

Luc Wise, PDG et fondateur de The Good Company.

Portrait de Luc Wise


Ce n’est qu’en créant des relations client-agence dans la durée que nous arriverons à la fois à amortir les coûts des appels d’offres, créer des campagnes de communication et territoires d’expression efficaces, à construire des relations de confiance et faire bouger les lignes sur les sujets à impact.

Et pour mesurer cette relation longue durée, les KPIs, l’efficacité d’une communication doivent être jugés sur des critères économiques (ex. parts de marché, ventes,…) mais également sur des critères sociaux et environnementaux (ex. nouveaux comportements créés, modes de consommation remplacés…).

 

Est-ce qu’on voit émerger une nouvelle génération d’agences ou de talents plus alignés avec ces enjeux ?

De plus en plus de talents cherchent à aligner convictions personnelles avec choix professionnels. C’est vrai des jeunes générations, mais également des plus âgées et es employeurs qui prennent en compte ces aspirations seront d’autant plus attractifs.

De la même manière, il y a de plus en plus de nouvelles agences qui souhaitent   concilier rentabilité et responsabilité mais également des agences plus anciennes qui cherchent à évoluer vers davantage de responsabilité, soit par conviction, soit par pragmatisme, soit les 2. Bien évidemment, chacune avance à son rythme et avec les contraintes et valeurs qui sont les siennes. Cependant, il y a un véritable mouvement de fond, comme en témoigne le large succès du label RSE AACC “Agence Actives” qui comptabilise mi-2025 pas moins de 157 agences de communication, RP ou média labellisées. La lutte continue !

 

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